Elle agite les réseaux et déclenche l’enthousiasme de beaucoup. Mais au-delà de l’effet d’annonce, que pouvons-nous attendre ce ce coup médiatique ? Point de vue.
« Mobiliser le pouvoir citoyen contre la pauvreté », « défendre l’intérêt général face à ceux qui détruisent notre planète », « apporter des solutions qui contribuent à la protection de l’environnement » ou encore « modifier les comportements individuels et collectifs pour accompagner la transition écologique et vivre dans un monde viable et solidaire. »
Tels sont les objectifs avoués des quatre organisations dont « L’Affaire du Siècle » est devenue, en quelques jours, la pétition la plus signée de l’histoire en France.
Trois d’entre elles, ainsi que leurs actions, sont bien connues. Leurs limites ou leurs contradictions internes aussi. La dernière, Notre affaire à tous, née en 2015, s’inscrit dans la lignée de l’effervescence médiatique -pour ne pas dire agitation- des 62 youtubeurs composant l’opération « On est prêt.» C’est en outre cette association, qui « oeuvre à l’instauration d’une justice climatique », qui donne le ton de l’action, essentiellement juridique : on trouve d’ailleurs des avocats et des juristes dans son conseil d’administration. L’idée est donc de mettre nos dirigeants devant leurs responsabilités en « demandant à la justice d’ordonner à l’état de respecter ses propres lois. » Formulation (d)étonnante s’il en est. Il est aussi question d’évaluer le préjudice écologique subi, une tâche qui s’avère compliquée mais pas impossible.
Voici un extrait de la «demande préalable indemnitaire», un texte de 40 pages adressé au Premier ministre et à dix membres du gouvernement: «L’action défaillante de l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique traduit une carence fautive de l’Etat à respecter son obligation de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité humaine.» Dans les faits, L’Etat français ne respecte pas ses engagements environnementaux. Il a deux mois pour répondre à cette injonction. Après quoi, les ONG, qui ont mobilisé «une équipe de 15 à 20 avocats et juristes», introduiront un recours juridique devant le tribunal administratif de Paris.
Cette approche présuppose une certaine vision de l’Etat, en tant qu’ « entité destinée à nous protéger. » Si les précédents récents ne manquent pas, les processus judiciaires peuvent être longs, et leur issue ou leur efficacité incertaines, ce que s’empressent de souligner quelques-uns (voir ici notamment).
Quoiqu’il en soit, il faut savoir surmonter ses réticences, sur la forme, et les contradictions ou les faiblesses d’une telle initiative (car qui ne se contredit jamais ?) et saluer son succès. Car ce succès sans précédent prouve que le réveil environnemental individuel et collectif, qui s’inscrit dans un contexte de réveil social, est réel. La tâche qui s’annonce pour les années à venir est immense et peut entraîner un effet de sidération. Mais il faut agir, cela fait trop longtemps qu’on le dit. Chacun à son niveau. Que l’on soit un responsable politique, une station de ski (Les Ménuires signent avec l’ONG Protect Our Winters), une marque outdoor (Salomon signe une charte pour la réduction des GES) mais aussi un individu.
Et cet appel pourrait devenir un catalyseur des actions à entreprendre à (très) grande échelle. « Il faut changer les choses en masse » assène d’ailleurs Jon Palais dans une interview donnée à Reporterre.
Et il y a urgence. Les COP s’enchaînent depuis 1995 et avec elles, les déceptions. « J’ai vu le rideau tomber sur cette scène jouée mille fois, relate l’envoyée spéciale de Reporterre à l’issue de la COP 24, celle de la fracture entre deux univers irréconciliables, le monde politique des négociations internationales et celui de la société civile, humaine et ancrée dans le réel. » Cette initiative juridique offensive, réconciliera-t-elle enfin et de façon paradoxale, les citoyens et le monde politique ? Rien n’est moins sûr. La finalité est « de faire émerger un droit contraignant de la protection des biens naturels au niveau international » analyse Marie Toussaint, la Présidente de Notre affaire à tous. Il faudra ensuite trouver des moyens efficaces pour les protéger. Nos modes de vie en seront profondément bouleversés.
Mais sommes-nous prêts à l’accepter ?
Article rédigé par Samuel Dixneuf pour AIR coop.